Chapitre 8

 

 

Il s’ensuivit un chatoiement confus de jaunes, rouges et orangés, et par-dessus tout de doré. De l’or aussi scintillant qu’un bijou nimbait l’ensemble. L’air même était empli de paillettes étincelantes, de la poudre d’or semblant flotter en permanence dans l’atmosphère, comme si en était essentiellement constitué l’air même qu’on respirait.

Cette pluie pailletée se déversa autour de nous, s’animant sous la vitesse de notre passage si bien qu’elle tourna à l’averse, suivant notre sillage, entremêlée au scintillement éblouissant de blancheur de la magie qui agissait, pour nous faire ensuite apparaître, véritable fantasmagorie vermeille, au beau milieu de la Cour, que j’embrassai d’un seul regard. Une seule seconde pour y apercevoir les nobles Seelies rassemblés, et Taranis sur son gigantesque trône doré orné de joyaux, resplendissant de toute magie, transformé grâce à son pouvoir d’illusion en une création aux couleurs du soleil couchant et de la quasi-brillance de ses rayons. Ses courtisans formaient deux rangées de part et d’autre, les sièges plus petits s’apparentant à un jardin de fleurs au vif éclat d’or, d’argent et de pierreries. Leurs cheveux étaient assortis aux couleurs de l’arc-en-ciel, leurs atours choisis afin d’être complémentaires à ceux de leur Roi et de lui plaire, vu qu’il appréciait les nuances des gemmes et du feu. Alors que la Cour d’Andais semblait toujours prête pour des funérailles, celle de Taranis ressemblait à une version quelque peu bariolée de l’Enfer.

J’eus le temps de voir la peur transfigurer la belle gueule de mon oncle, avant que ses gardes ne se déploient autour de son trône. Des clameurs se firent entendre :

— Il s’est parjuré ! Tous au Roi ! Tous au Roi !

Certains de cette glorieuse Cour se précipitèrent en masse vers le trône, prêts à prêter main-forte aux gardes, mais d’autres s’en éloignèrent ainsi que de ce qui, selon eux, deviendrait le lieu même du cœur de la bataille.

J’aperçus brièvement mon grand-père, Uar le Cruel, qui dépassait de la tête et des épaules la plupart des nobles courtisans qui prenaient la fuite, tel un arbre au milieu de ce flot scintillant. En le regardant là debout, chaque centimètre de sa haute stature évoquant un dieu de la guerre, je compris que j’avais hérité de ses cheveux. Je le voyais si rarement que je ne l’avais pas encore remarqué.

La magie explosa autour de nous en un arc-en-ciel mortel de couleurs, de feu, de glace et de tempête. Les gardes défendaient leur Roi, car sur qui d’autre aurais-je été en mesure d’invoquer la Meute Sauvage ? Responsable de tant de crimes, de tant de traîtrises, et je ressentis à nouveau cet appel qui m’incitait à mener la Meute à tout jamais. Si facile, totalement dénué de douleurs, de chevaucher ainsi nuit après nuit en quête de notre proie. Tellement plus simple que la vie que je m’évertuais à mener.

On m’agrippa par le bras et ce contact suffit. Je me retournai pour me retrouver face à Sholto, le visage grave, ses yeux jaune-doré scrutant le mien. La sensation de sa main m’attirait invariablement loin de cette pensée, mais qu’il sache ainsi m’éloigner du bord de l’abîme me révéla qu’il avait connu les mêmes tentations à la tête de la Meute. On peut mieux en protéger autrui quand on en a fait soi-même l’expérience.

Nous étions au cœur d’une tourmente. De petites tornades tourbillonnaient tout autour de la salle, formées lorsque les pouvoirs de la chaleur avaient clashé avec ceux du froid. Des hurlements retentissaient et, au-delà de ce scintillement émis par le déploiement de notre magie, je pus en voir certains qui détalaient vers le trône afin de protéger leur Roi, d’autres s’enfuyant pour sauver leur peau, et d’autres encore recroquevillés contre les murs et sous les lourdes tables. Nous observions cette scène comme au travers d’un écran de verre sablé, généré par à la magie qui nous entourait.

Les chiens n’hésitèrent pas une seconde, pas du tout distraits par les sortilèges qu’on leur balançait, n’ayant qu’un seul objectif, une seule proie. L’appel des sortilèges et les tempêtes qu’ils avaient eux-mêmes provoquées s’estompèrent alors. Les gardes avaient fini par réaliser que nous n’avions aucun intérêt pour le trône, nous dirigeant inexorablement à l’autre bout de la salle. Les gigantesques chiens se frayèrent un passage des épaules sous les tables, pour se déployer autour d’un corps blotti contre le mur.

Je sentis les muscles de ma jument qui se regroupaient sous moi et n’eus que le temps de réajuster mon assise vers l’avant en empoignant plus fermement sa crinière avant que, d’un bond puissant, elle ne saute par-dessus la large table.

Elle se mit à piaffer sur les pierres, ses sabots projetant des étincelles vertes, de menues touches de vert et de flammes rouges sortant de ses naseaux fumants, la lueur rougeoyante de ses yeux transformée en de petites flammèches de même couleur qui vinrent lécher le pourtour de ses orbites.

Les chiens avaient débusqué ma cousine qui, dans sa robe orange particulièrement vive par contraste, plaquait son grand corps svelte sidhe aussi fortement que possible contre le mur de marbre blanc, comme avec l’espoir qu’il allait céder et qu’elle pourrait se débiner par là. Rien d’aussi simple ne lui serait accordé cette nuit. À nouveau, ce sursaut de rage et de vengeance profondément gratifiant me submergea. Elle était mignonne, quoique blême, et si elle avait eu un nez et suffisamment de peau pour étoffer sa bouche de lèvres, elle aurait été aussi séduisante que la plupart à la Cour. Je pensai à l’époque où je trouvais Cair vraiment belle, ne voyant pas ce qui lui manquait comme de la laideur. Le visage de Mamie m’était cher. Par conséquent, celui de Cair associé à celui invariablement beau d’une Sidhe ne pouvait que me sembler magnifique. Mais elle, elle ne l’avait pas considéré ainsi, et m’avait laissé savoir du revers de la main lorsque personne ne regardait, comme par d’autres petites mesquineries cruelles, combien elle me haïssait. J’avais compris en grandissant la raison de ce comportement : elle aurait volontiers échangé contre mon visage son grand corps longiligne. Elle n’avait pas lésiné à me convaincre que d’être petite et tout en courbes équivalait à un crime, mais ce qu’elle aurait tant voulu avoir était mes traits bien plus sidhes. Quand j’étais enfant, cela m’avait amenée à penser que j’étais laide.

Et maintenant, en la voyant là, appuyée contre ce mur, ses yeux noisette sur le visage de notre grand-mère avec sa structure osseuse si similaire, je ne souhaitais qu’une chose… la terrifier. Je voulais qu’elle se rende compte de ce qu’elle avait fait, qu’elle le regrette et qu’elle en meure de frousse. Était-ce mesquin de ma part, et devrais-je m’en soucier ? Non, sûrement pas !

Cair avait levé vers moi ces yeux me rappelant Mamie… des yeux emplis de terreur, et à l’arrière de la peur, la connaissance. Elle savait pourquoi nous étions ici.

Je me frayai un passage au travers de la meute grondante, puis tendis vers elle mes mains couvertes de sang séché.

Elle se mit à hurler en essayant de fuir, lorsque les immenses chiens au pelage blanc taché de rouge se rapprochèrent d’elle. On percevait la menace dans leur grondement de basse, leurs babines retroussées révélant des crocs prêts à déchiqueter sa chair en lambeaux.

Elle ferma les yeux et je me penchai, la main tendue pour caresser, doucement, cette joue de porcelaine. Elle grimaça comme si je venais de la frapper. Le sang qui avait commencé à former une croûte sur ma peau était à nouveau humide, frais, comme celui qui recouvrait ma robe en se mettant à couler. Ma petite main laissa une empreinte cramoisie sur sa parfaite structure osseuse. Cette vieille histoire de bonne femme que la victime d’un meurtre se remet à saigner si son meurtrier la touche est fondée sur la vérité.

Je levai en l’air ma main sanglante afin de la présenter aux Sidhes, en déclamant :

— Parricide je la nomme ! Par le sang de sa victime, elle est accusée !

La mère de Cair, ma tante Eluned, s’approcha alors des chiens, ses mains blanches levées vers moi.

— Ma nièce, Meredith, je suis la sœur de ta mère, et Cair est ma fille. Quel parent a-t-elle tué pour te faire venir ici et l’accuser ainsi ?

Je me retournai vers elle, tellement charmante, la jumelle de ma mère, mais elles ne se ressemblaient guère. Eluned était juste un peu plus Sidhe, un peu moins humaine d’apparence. Vêtue des pieds à la tête d’or, ses cheveux rouges identiques aux miens et à ceux de son père étincelaient sur sa robe. Je fixai ses yeux nuancés de doré et de vert entremêlés et un souvenir me revint si vivement en mémoire qu’il sembla me poignarder du ventre au crâne. J’avais déjà vu ces yeux-là, irisés de multiples pétales, qui n’étaient que nuances de vert… les yeux de Taranis penché sur moi, comme dans un songe, mais je ne savais que trop bien qu’il avait viré au mauvais rêve.

— Meredith, m’appela Sholto en m’effleurant cette fois légèrement le bras.

Je lui répondis d’un hochement de tête catégoriquement négatif, avant de montrer ma main ensanglantée à ma tante.

— Voilà le sang de votre mère, le sang de notre grand-mère, le sang d’Hettie !

— Veux-tu dire que notre mère… est morte ?

— Oui, dans mes bras.

— Mais comment ?

J’indiquai du doigt ma cousine.

— Elle a ensorcelé Mamie pour la manipuler, en l’obligeant à nous attaquer avec le feu. Mes Ténèbres est encore à l’hôpital suite aux blessures que lui a infligées Mamie avec une Main de Pouvoir qu’elle ne possédait même pas !

— Tu mens ! me lança ma cousine.

Les chiens y répondirent par des grognements.

— Si je mentais, je n’aurais sûrement pas appelé la Meute en te déclarant parricide, car elle n’aurait pas répondu à cet appel si la vengeance n’était pas justifiée.

— Le sang de sa victime l’accuse, ajouta Sholto.

Tante Eluned se redressa alors de toute sa taille de Sidhe en déclamant :

— Engendreur d’Ombres, tu n’as pas ici le droit à la parole !

— Je suis Roi, contrairement à toi, lui répondit-il sur un ton tout aussi condescendant.

— Le Roi des cauchemars ! rétorqua Eluned.

Sholto éclata d’un rire qui fit jouer la lumière sur la blancheur de sa chevelure, où se déversa une irradiation dorée.

— Permets-moi de te présenter des cauchemars, dit-il avec dans la voix cette colère ayant dépassé l’embrasement pour se faire de glace.

Une colère ardente est passion, tandis qu’une colère froide équivaut essentiellement à de la haine.

Je n’aurais pas cru qu’il haïssait particulièrement ma tante, mais plutôt tous les Sidhes qui l’avaient de tout temps traité en inférieur. Quelques semaines plus tôt, l’une des leurs l’avait incité par la ruse à une petite session de bondage. Mais en guise de sexe, des guerriers Sidhes s’étaient pointés pour lui trancher ses tentacules, allant même jusqu’à l’écorcher vif en partie pour en éliminer toute trace. La femme lui avait dit que lorsqu’il serait guéri et entièrement débarrassé de cette souillure, elle coucherait éventuellement avec lui.

La magie de la Meute se modifia alors, imperceptiblement, paraissant se faire… plus enragée encore. Je l’avertis à mon tour d’une pression sur le bras. J’avais toujours su que d’être entraîné à chevaucher avec elle pouvait signifier s’y retrouver piégé, mais sans comprendre que l’invoquer pouvait également piéger le Chasseur. La Meute en souhaitait un permanent, voire une Chasseresse. À présent qu’elle était de retour, elle ne voulait qu’une chose : être menée. Et de fortes émotions pouvaient lui fournir la clé de votre âme. J’en avais fait l’expérience et constatais qu’à son tour, Sholto commençait à manquer de vigilance.

J’agrippai son bras jusqu’à ce qu’il reporte son attention sur moi. Le sang frais qui avait pourtant laissé une si vive empreinte sur le visage de Cair n’en laissa aucune sur sa peau. Je le regardai droit dans les yeux jusqu’à ce que son regard se concentre sur moi, non pas de courroux, mais empreint de cette sagesse qui avait permis aux Sluaghs de préserver leur indépendance, alors que la plupart des royaumes dits inférieurs se retrouvaient engloutis par d’autres soi-disant supérieurs.

Il m’adressa ce sourire adouci que je ne lui avais vu que lorsqu’il avait appris qu’il serait papa.

— Dois-je leur montrer qu’ils ne m’ont pas émasculé ?

Je compris où il voulait en venir. Je lui souris en retour tout en acquiesçant de la tête. Ces sourires furent ce qui nous sauva, selon moi. Nous partagions un moment n’ayant strictement rien à voir avec l’objectif de la Meute. Un moment d’espoir, d’intimité complice, d’amitié ainsi que d’amour.

En voulant lui présenter ses excroissances sous le coup de la colère, il avait eu l’intention d’horrifier Tante Eluned en lui montrant ce que pouvait représenter de véritables cauchemars. Mais à présent, il allait par la même occasion prouver aux nobles qui avaient voulu le mutiler qu’ils avaient échoué. Il était intact. Bien plus qu’intact, il était parfait.

Le tatouage qui lui parait le ventre et le haut de la poitrine prit soudain du volume. Une lueur et ces couleurs dorées et rose pastel s’animèrent sur sa peau pâle. De douces nuances lumineuses scintillaient en circulant sous l’épiderme de ces multiples membres en mouvement, qui ondulaient à l’image de ces gracieuses créatures du fond des mers au fil d’un courant tropical. Lors de sa dernière visite à cette Cour, il avait eu en partie honte de ce qu’il était. Ce qui n’était plus le cas, et cela se voyait.

Certaines dames ne purent retenir des hurlements, et ma tante qui avait quelque peu blêmi s’écria :

— Tu es toi-même une vision de cauchemar, Engendreur d’Ombres !

Yolland aux cheveux noirs sur son cheval recouvert de plantes grimpantes nous dit alors :

— Elle cherche à détourner votre attention de la culpabilité de sa fille.

Ma tante le regarda et répliqua, outrée :

— Yolland ! Comment peux-tu les soutenir ?

— J’ai rempli mon devoir envers mon Roi et ma contrée, mais la Meute m’a maintenant intégré, Eluned, et je vois les choses sous un autre angle. Je sais que Cair a manipulé sa grand-mère pour tendre son piège. Pourquoi quelqu’un agirait-il ainsi ? Sommes-nous devenus si dénués de cœur que le meurtre de votre propre mère ne vous fasse aucun effet, Eluned ?

— C’est ma fille unique, répondit-elle, la voix mal assurée.

— Et elle a tué la seule mère que vous ayez eue ! rétorqua Yolland.

Elle se retourna vers sa fille, toujours recroquevillée contre le mur, cernée de mastiffs blancs, nos chevaux se tenant à l’arrière de ce cordon vigilant.

— Pourquoi, Cair ? Pas « comment as-tu pu faire ça », mais simplement « pourquoi » ?

Le visage de Cair nous présentait maintenant une nouvelle expression de peur. Ce n’était pas en raison des chiens qui lui mettaient la pression. En toute apparence désespérée, elle dévisageait sa mère.

— Mère !

— Pourquoi ? répéta celle-ci.

— Je vous ai entendue ici la renier jour après jour. Vous disiez qu’elle n’était qu’un Farfadet inutile qui avait déserté sa propre cour.

— Des propos destinés aux nobles, Cair.

— Mais vous n’avez jamais dit rien d’autre en privé devant moi, Mère. Tante Besaba la dénigrait de même en disant qu’elle avait trahi notre Cour en la quittant, tout d’abord pour aller vivre parmi les Unseelies, puis chez les humains. Je vous ai entendue approuver de tels propos toute ma vie durant. Vous disiez que vous ne m’emmeniez lui rendre visite que par devoir. Lorsque j’eus suffisamment grandi pour avoir le choix, nous ne sommes plus jamais allées la voir.

— Je lui rendais visite en privé, Cair.

— Et pourquoi ne me l’avez-vous pas mentionné ?

— Parce que ton cœur est aussi froid que celui de ma sœur, et ton ambition te consume tout autant. Tu aurais interprété l’attention que je portais à notre mère comme de la faiblesse.

— Mais c’était bien de la faiblesse !

Eluned désapprouva de la tête, les traits empreints d’un profond chagrin. Elle recula de quelques pas de la rangée de chiens et de sa fille, avant de lever les yeux vers nous.

— Savait-elle que c’était Cair qui l’avait trahie lorsqu’elle a rendu son dernier soupir ?

— Oui.

— La trahison de sa propre petite-fille a dû lui briser le cœur.

— Elle ne l’a compris que peu de temps avant de mourir, dis-je.

Un piètre réconfort, mais c’était bien là tout ce que j’avais à lui offrir. Je chevauchais avec la Meute Sauvage, et la vérité, si dure ou agréable soit-elle, était bien la seule chose que je puisse énoncer cette nuit.

— Je ne me mettrai pas en travers de ton chemin, ma nièce.

— Mère ! cria Cair en l’implorant de ses mains jointes.

Les chiens se rapprochèrent d’elle pour l’encercler, en émettant ce grondement sourd qui donnait l’impression de vous grimper avec légèreté le long de l’échine pour venir frapper quelque chose de primal au niveau cérébral. À l’écoute de ces grognements, on savait que le pire ne saurait tarder.

— Mère, de grâce ! hurla à nouveau Cair.

— C’était ma mère ! lui hurla Eluned en retour.

— Mais… je suis votre fille !

— Je n’ai plus de fille ! lui lança Eluned, tout en reculant dans sa longue robe dorée avant de s’en aller, sans un regard en arrière.

Les nobles qui s’étaient attroupés près des portes s’écartèrent pour la laisser passer. Elle ne s’arrêta que lorsque celles plus au fond ornées de pierreries se furent refermées derrière elle. Elle ne se battrait pas contre nous pour sauver la vie de sa fille, mais elle n’assisterait pas non plus à sa mise à mort. Je n’aurais pu l’en blâmer.

— Seigneur Finbar, aidez-moi ! cria Cair, son regard affolé tourné vers l’assemblée.

La plupart des yeux se dirigèrent vers la table au fond, où le Roi se trouvait à l’abri planqué derrière un rempart de gardes et de courtisans étincelants. L’un d’eux était le Seigneur Finbar, grand et magnifique avec sa chevelure d’un blond semblant quasiment humain. Seule l’aura de pouvoir dont irradiait toute sa personne, ainsi que ce visage à la beauté surnaturelle, le distinguaient comme étant bien plus encore. Uar était toujours là, debout sur le côté, attentif à ce qui se passait, mais sans faire la moindre tentative pour prêter son soutien à son frère le monarque, devant lequel se tenait le Seigneur Finbar, ami intime de Taranis, mais pas de ma tante ni de ma cousine, du moins aux dernières nouvelles. Pourquoi l’appelait-elle maintenant au secours ?

Le Roi était entièrement dissimulé par cette multitude miroitante de bijoux qui incluait Finbar. Il se pouvait même qu’il ne soit déjà plus là, et que les nobles ne restent plantés devant que pour donner le change. Mais cette nuit, cela avait peu d’importance. Ce qui importait était la raison pour laquelle Cair faisait cette supplique au grand noble blond qui n’avait jamais été son ami.

Son visage allongé aux pommettes saillantes durci par l’arrogance s’était figé, aussi froid que tous ceux que j’avais pu voir. Un masque hautain derrière lequel se cacher qui me rappela mon regretté Frost, lorsqu’il était effrayé ou embarrassé.

Cair l’implora à nouveau, plus véhémentement.

— Seigneur Finbar, vous aviez promis !

— Cette fille est de toute évidence dérangée, dit-il alors. Le meurtre de son aïeule en est la preuve !

Sa voix était aussi froide et claire que le contour pâle de sa mâchoire. Les mots dégoulinaient de certitude et d’arrogance, entretenues depuis des siècles. Immortel et issu de la noblesse, la recette idéale pour dégager une telle prétention et stupidité.

— Finbar, mais que dites-vous ? Vous aviez promis de me protéger. Vous l’avez juré ! s’exclama Cair.

— Elle est dérangée, répéta-t-il.

Sholto tourna les yeux vers moi, me faisant comprendre que je devais m’exprimer, et ma voix retentit. Cette nuit, j’incarnais bien plus que ma magie.

— Seigneur Finbar, jurez-nous que vous n’avez pas promis à ma cousine de lui assurer votre protection, et nous vous croirons. Elle a perdu la raison.

— Je n’ai pas à répondre à vos ordres, Meredith. Pas encore.

— Ce n’est pas moi, Meredith, qui vous demande ce serment. Cette nuit, je chevauche à la tête d’une Cour bien différente. C’est avec ce pouvoir que je vous le redemande, Finbar. Jurez qu’elle a menti au sujet de votre protection, et rien de plus n’aura besoin d’être dit.

— Je ne dois en rien un tel serment à la créature perverse qui se tient à votre côté !

Il venait d’employer le surnom qu’Andais donnait à Sholto : sa Créature Perverse, et parfois simplement sa Créature. « Faites venir ma Créature ! »

Ce que Sholto détestait, mais il valait mieux s’abstenir de corriger ce que disait la Reine.

Il fit avancer son cheval aux multiples jambes auxquelles faisaient écho le nombre de ses excroissances. Je crus qu’il était en rogne, mais sa voix, calme et dédaigneuse, n’avait rien à envier au ton de Finbar.

— Comment se fait-il qu’un seigneur Seelie connaisse les surnoms que la Reine des Ténèbres donne à ses gardes ?

— Nous avons des espions, tout comme vous.

Sholto hocha la tête, la lumière dorée animant de reflets ses cheveux, sauf que l’éclairage dans la salle ne diffusait pas cette couleur qui y miroitait.

— Mais cette nuit, je ne suis pas sa Créature. Je suis le Roi des Sluaghs et le Chasseur. Refuserais-tu de faire ce serment au Chasseur ?

— Tu n’es pas le Chasseur, rétorqua Finbar.

Le noble blond qui chevauchait avec nous intervint alors :

— Nous avons combattu la Meute et maintenant nous chevauchons avec elle. Ils sont les Chasseurs pour cette nuit.

— Serais-tu ensorcelé, Dacey ? lui lança Finbar.

— Si la Grande Meute équivaut à un sortilège, alors je suis envoûté, assurément.

— Finbar, jure simplement que cette folle a menti, et l’affaire sera réglée, suggéra l’un des nobles.

Finbar ne sut que répondre, se contentant de maintenir son air hautain avec magnificence. La beauté et l’orgueil ; la défense ultime des Sidhes. Personnellement, je n’en avais jamais eu assez pour apprendre à utiliser cette astuce à bon escient.

— Il ne peut prêter serment, dit Cair, sinon il se parjurera alors que la Meute Sauvage est face à lui. Cela signerait sa perte.

À l’entendre, elle donnait maintenant l’impression d’être en colère. Elle, tout comme moi, n’avait jamais été jugée suffisamment belle pour mériter cette arrogance propre aux Sidhes pur sang. Nous aurions pu être amies, elle et moi, si elle ne m’en avait pas autant voulu en me considérant davantage Sidhe qu’elle.

— Dis-nous ce qu’il t’a promis, Cair, lui demandai-je.

— Il savait que je pourrais me rapprocher assez près d’elle pour invoquer sur elle le sortilège.

— Elle ment !

Cette exclamation ne venait pas de Finbar, mais de son fils.

— Barris, non ! s’écria Finbar.

Certains des gigantesques chiens se retournèrent vers celui-ci, qui n’avait pas rejoint son père pour protéger le Roi, et se trouvait à l’autre bout de la salle. Ils s’approchèrent lentement de lui, avec des grognements sourds lourds de menaces.

— Les menteurs furent à une époque les proies de la Meute, mentionna Sholto avec un sourire des plus satisfaits.

Je lui rappelai à nouveau d’une pression sur le bras de ne pas trop profiter de son pouvoir. La Meute était un piège et plus nous chevaucherions avec elle, plus il deviendrait difficile de s’en souvenir.

Il tendit la main en arrière pour prendre la mienne.

— Réfléchis bien, Barris, ajouta-t-il avec un hochement de tête. Cair ment-elle ou dit-elle la vérité ?

— Je dis la vérité ! s’exclama Cair. Finbar m’a expliqué quoi faire et m’a promis que si je le faisais, il autoriserait que Barris et moi nous nous unissions. Et que si je tombais enceinte, nous nous mariions.

— Est-ce vrai, Barris ? m’enquis-je.

Barris, horrifié, ne quittait pas des yeux les grands chiens blancs qui continuaient à avancer subrepticement, comme des lions en chasse embusqués dans la savane. De toute évidence, il ne semblait pas vraiment apprécier le rôle de la gazelle.

— Père… appela-t-il en le regardant.

Toute arrogance avait disparu du visage de Finbar. S’il avait été humain, j’aurais dit qu’il avait les traits tirés par la fatigue, mais il n’y avait pas assez de rides ni de cernes sous ces jolis yeux pour aboutir à cette conclusion.

Les chiens entreprirent de repousser Barris à coups de dents et en le pressant de leurs corps gigantesques. Il ne put réprimer une plainte d’effroi étouffée.

— Vous n’êtes que des idiots, dit Finbar.

J’étais quasi certaine qu’il ne s’adressait à aucun de nous.

— Je sais ce que tu espérais gagner, Cair. Mais qu’espérait obtenir Finbar de la mort de mes hommes ?

— Il voulait te priver de tes plus dangereux consorts.

— Et pour quelle raison ? demandai-je, me sentant étrangement calme.

— Afin que les nobles Seelies puissent te contrôler lorsque tu serais devenue leur Reine.

— Vous pensiez que si Doyle et moi étions morts vous pourriez contrôler Meredith ? s’étonna Sholto.

— Bien sûr, dit-elle.

Sholto éclata alors d’un rire à la fois de bon et de mauvais augure, du genre que l’on pourrait décrire par démoniaque.

— Ils ne te connaissent pas, Meredith.

— Rien de nouveau sous le soleil.

— Pensiez-vous vraiment que Rhys, Galen et Mistral vous laisseraient manipuler la Princesse ?

— Rhys et Galen, en effet, mais pas le Seigneur des Tempêtes, répondit-elle.

— Tais-toi, ma fille ! réagit enfin Finbar.

Ne s’agissant là ni d’un mensonge, ni d’un serment, il pouvait la commander ou l’insulter en toute tranquillité.

— Vous m’avez trahie, Finbar, en prouvant que votre parole a aussi peu de valeur. Je ne vous dois plus rien !

Puis elle se tourna vers moi, me tendant ses longues mains graciles au-delà des chiens attroupés, avant de poursuivre :

— Je te dirai tout, de grâce, Meredith, de grâce ! La Féerie a pris soin de Froid Mortel, mais les Ténèbres et le Seigneur des Ombres devaient disparaître.

— Pourquoi avez-vous épargné Rhys, Galen et Mistral ? m’enquis-je.

— Rhys était autrefois un seigneur de cette Cour. Il était raisonnable, et nous avons pensé qu’il s’y montrerait à nouveau enclin si on lui offrait l’opportunité de revenir se joindre à la Cour Dorée.

Ce n’était donc pas seulement moi qu’ils ne comprenaient pas.

— À quand remonte cette époque où Rhys en faisait partie ?

Cair détourna les yeux avant de répondre :

— Huit cents ans, peut-être même un peu avant.

— T’ait-il venu à l’esprit qu’il ait pu changer après tout ce temps ? lui demandai-je.

Son expression fut éloquente : cette éventualité ne l’avait même pas effleurée.

— Mais tout le monde veut faire partie des nobles de la Cour Dorée, déclara-t-elle, absolument convaincue, ce qui se reflétait dans ses yeux, sur son visage, sans rire.

— Et Galen ? poursuivis-je.

— Il ne représente aucun danger et nous ne pouvons te priver de tous tes copains.

— Heureuse de te l’entendre dire.

Je ne crois pas qu’elle saisit la pointe de sarcasme. J’avais déjà remarqué que bon nombre de nobles le rataient en général.

— Et à propos de Mistral ? demanda Sholto.

Il se produisit un échange rapide de regard entre Cair et Barris, qu’ils dirigèrent ensuite vers Finbar, qui fuyait tout le monde des yeux, son visage et chaque centimètre de sa personne concentrés sur lui-même.

— Auriez-vous aussi manigancé un piège à son intention ? insista Sholto.

Le plus jeune eut un coup d’œil nerveux. Finbar demeura impassible. Aucune de ses réactions ne me plaisait. Je fis avancer ma jument, jusqu’à ce que sa large encolure vienne pousser ma cousine et Barris, incité par les chiens à rejoindre son épouse potentielle.

— Avez-vous envoyé quelqu’un pour tuer Mistral ?

— Quoi qu’il en soit, tu vas me tuer, dit Cair.

— Tu as raison, mais cette nuit nous ne sommes pas venus pour Barris. J’ai invoqué le parricide, et il ne fait pas partie de la famille, répondis-je en toisant le jeune seigneur. Veux-tu survivre à cette nuit, Barris ?

Il leva les yeux vers moi et je perçus dans son regard bleu cette vulnérabilité qui avait dû être désespérante pour l’animal politique qu’était son père. Non seulement il était faible, mais il ne brillait pas particulièrement par son intelligence. Je venais de lui offrir une chance de survivre, mais il y aurait d’autres nuits. J’en fis le serment.

— Ne dis rien ! lui intima Finbar.

— Le Roi vous sauvera, Père, mais je ne représente aucun intérêt pour lui.

— Les Ténèbres doit être grièvement blessé pour ne pas être aux côtés de la Princesse. Nous avons raté le Seigneur des Ombres, mais si le Seigneur des Tempêtes meurt cette nuit, alors nos efforts seront récompensés.

— Si Mistral perd la vie cette nuit, Barris, tu le suivras dans la tombe, et sans tarder. Je t’en fais la promesse.

La jument se mit à trépigner sous moi, soudainement agitée.

— Même toi, Barris, dois savoir ce que signifie une telle promesse alors que la Princesse monte un cheval de la Meute Sauvage, lui dit Sholto.

Barris déglutit bruyamment avant de dire :

— Si elle brise cette promesse, la Meute l’annihilera.

— En effet, reconnut Sholto, et tu ferais mieux de parler tant qu’il est encore temps de sauver le Seigneur des Tempêtes !

Ses yeux aux anneaux bleus montraient trop de blanc comme ceux d’un cheval effrayé. Lorsque l’un des chiens poussa sa jambe du museau, il laissa échapper un petit cri qui, chez qui que ce soit d’autre, aurait retenti en un hurlement. Mais les nobles de la Cour Seelie ne glapissaient pas comme des putois simplement à cause d’un clebs.

— N’oublie jamais qui tu es, Barris ! lui dit Finbar.

— Je me souviens de qui je suis, Père, répondit-il en tournant les yeux vers lui. Mais vous m’avez enseigné que nous sommes tous égaux face à la Meute. Ne l’appeliez-vous pas le Grand Égalisateur ?

Sa voix recélait de la tristesse, voire de la déception. La peur s’estompait sous le poids des années. Des années passées à ne jamais vraiment correspondre à ce que son père attendait de lui. Des années passées tout en sachant qu’avec toutes les caractéristiques physiques d’un noble Seelie, il devait prétendre l’être autant que possible.

Je regardai Barris, qui m’avait toujours semblé aussi arrogant que toute la clique. Je n’étais jamais parvenue à percer ce magnifique masque. Était-ce la magie de la Meute qui me donnait à présent un peu plus de perspicacité, ou avais-je simplement présumé que si on avait l’apparence d’un Sidhe, c’est-à-dire grand, svelte et sans failles, le bonheur et la sécurité vous étaient acquis ? Avais-je vraiment cru jusque-là que la beauté représentait la sécurité ? Que si seulement j’avais été plus grande, plus mince, d’apparence moins humaine et davantage Sidhe, ma vie aurait été… idéale ?

En scrutant le visage de Barris, j’y perçus toute cette déconvenue, tout cet échec : sa beauté n’avait pas suffi à lui faire gagner le cœur de son père.

Et je ressentis une émotion inattendue : de la pitié.

— Aide-nous à sauver Mistral et tu pourras sauver ta peau. En revanche, si tu ne parles pas et le laisses mourir, je ne pourrai plus rien pour toi, Barris.

Sholto me regarda, se maîtrisant pour ne pas révéler son étonnement. Mais je crois qu’il avait perçu ce soupçon de pitié dans ma voix et l’avait trouvé surprenant, en effet. Je n’aurais pu le lui reprocher. Barris, complice du meurtre de ma grand-mère, avait tenté de tuer mes amants, mes futurs rois, mais sans en être directement responsable. Il avait essayé de faire plaisir à papa en négociant avec le seul atout en sa possession, la pureté de son sang sidhe et ce corps à la haute stature, svelte, surnaturel, en un mot magnifique.

Finbar, quant à lui, n’avait rien pour négocier avec Cair, si ce n’est la beauté pâle de son rejeton : être acceptée à la Cour, avoir un amant purement Sidhe qui pouvait devenir un époux, voilà quel avait été le prix en échange de la vie de notre grand-mère. Ce même prix qu’avait payé Mamie en se mariant à Uar le Cruel tous ces siècles plus tôt. L’opportunité d’épouser un membre de la Cour Dorée, ce qui, pour une humaine métissée de Farfadet, représentait une chance sur un millième.

— Raconte-nous donc, Barris, sinon tu mourras une autre nuit.

— Dis-leur, l’encouragea Cair, la voix atténuée par la peur.

Ce qui indiquait qu’elle ignorait tout de leur projet concernant Mistral, sachant seulement qu’il y en avait un de prévu.

— Un traître le fera sortir à découvert. Nos archers sont embusqués, armés de flèches aux pointes métalliques.

— Où cela doit-il avoir lieu ? lui demanda Sholto.

Barris nous le révéla. Il avoua tout par le menu tandis que les gardes du Roi se saisissaient de Finbar. Taranis s’était en effet éclipsé, vers la sécurité. Les gardes n’arrêtaient pas Finbar pour ce qu’il avait tenté de me faire, mais parce que ses actions pourraient être interprétées et servir de déclencheurs à une guerre avec les Unseelies. Une offense mortelle aux yeux des deux Cours, d’agir ainsi sans les ordres formels de votre Roi ou de votre Reine, au point de provoquer un conflit. Bien qu’une partie de moi soit sûre que Taranis ait donné toute son approbation à ce plan, quoique indirectement. Il était plutôt du style de roi à demander : « Qui me débarrassera de cet homme gênant ? », se gardant la possibilité de démentir si besoin ou d’en assumer la responsabilité, le tout sans se parjurer. Mais Taranis serait une proie pour une autre Cour, pour un autre jour.

J’essayai de faire pivoter ma jument vers la sortie pour voler au secours de Mistral, mais elle caracola nerveusement en dodelinant de la tête, refusant d’obtempérer.

— Nous devons d’abord en terminer ici, sinon la Meute ne continuera pas, me précisa Sholto.

Il me fallut un instant pour comprendre, puis je me tournai vers Cair, toujours acculée contre le mur par les gigantesques chiens. J’aurais pu les utiliser comme des armes et ils l’auraient mise en pièces. Mais je n’étais pas certaine que j’aurais pu y assister et cela demanderait pas mal de temps. Nous devions opter pour une exécution plus rapide, pour la vie de Mistral et ma tranquillité d’esprit.

Sholto brandit soudain une lance d’os. Venait-elle d’apparaître comme par enchantement ? L’un des symboles de la royauté des Sluaghs, disparu des siècles plus tôt, bien avant son accession au trône, cette lance, associée à la dague d’os dans sa main, était réapparue en même temps que la magie sauvage lorsque, pour la première fois, nous nous étions accouplés.

Je m’en saisis.

— Non, Meredith, non !!! se mit à hurler Cair.

Ma main glissa le long de la hampe jusqu’à ce que son poids y soit bien équilibré. Je n’allais pas la lancer, n’ayant pas suffisamment de recul pour ça.

— Elle est morte dans mes bras, Cair.

Elle implora quelqu’un derrière moi.

— Grand-père, aide-moi !

La voix de celui-ci retentit alors, et ce qu’il dit ne me surprit en rien :

— La Meute Sauvage ne peut être arrêtée. Et les mauviettes ne sont qu’une perte de temps !

Cair s’adressa à nouveau à moi :

— Mais regarde ce qu’elle a fait de toi comme de moi, Meredith ! Elle a fait de nous des créatures qui ne pourront jamais être acceptées par leur propre peuple !

— La Meute Sauvage répond à mon désir de vengeance, la Déesse s’exprime en moi, le Consort s’adresse à moi dans des visions ; je suis Sidhe !

Et, des deux mains, je plongeai la lance dans sa poitrine. Je sentis la pointe crisser sur l’os et l’y enfonçai sur les derniers centimètres, sentant qu’elle ressortait de l’autre côté. Si elle avait eu davantage de chairs sur les os, cela aurait été plus dur, mais fine comme elle l’était, rien n’arrêta ce pieu ni l’intensité de mon chagrin.

Cair l’empoigna des deux mains, qu’elle semblait ne pas parvenir à faire fonctionner comme il fallait, son regard fixe levé vers moi, incrédule face à ce qui lui arrivait. Je la regardai droit dans ses yeux noisette si semblables à ceux de Mamie, y voyant la peur refluer pour n’y laisser qu’ahurissement. Du sang se mit à ruisseler de sa bouche dénuée de lèvres. Elle essaya de parler, sans qu’aucun mot ne nous parvienne. Puis ses bras retombèrent le long de son corps. Je vis son regard commencer à se ternir. On dit que c’est la lumière qui s’éteint lorsque meurent des humains, mais il n’en est rien ; ce sont eux. L’expression dans leurs yeux où se reflète leur personnalité, voilà ce qui s’estompe.

Afin de ne pas causer davantage de dommages, je retirai la lance d’un coup sec avec un mouvement de torsion pour la libérer de son fourreau de chair et d’os. Lorsqu’elle fut en partie ressortie de son corps, Cair commença à s’effondrer sur elle-même. Je dus la soutenir avec la lance, et la gravité finit le travail. Elle s’écroula.

Puis je regardai cette hampe ensanglantée, essayant de ressentir quelque chose, n’importe quoi. J’en nettoyai le sang avec le bas de ma robe, avant de la rendre à Sholto. J’aurais besoin de mes deux mains pour chevaucher.

L’ayant prise, il se pencha pour me donner un doux baiser, ses tentacules m’effleurant délicatement, semblables à des mains qui tentaient de me réconforter. Un réconfort que je ne pouvais encore me permettre. Nous avions du pain sur la planche et la nuit toucherait bientôt à sa fin.

J’accueillis néanmoins le soutien qu’il m’offrait et m’écriai :

— En route !

— Pour aller sauver ton Seigneur des Tempêtes, dit-il.

— Pour sauver l’avenir de la Féerie.

Et je fis pivoter ma jument qui, cette fois, répondit docilement à ma main. Je frappai des talons contre ses flancs et elle bondit en avant dans un étincellement soudain de flammèches vertes et de fumerolles. Les autres se déversèrent à ma suite au cœur d’un scintillement aussi blanc et pur que s’il irradiait de la pleine lune. Mais, de-ci de-là, l’or rutilant de la salle de banquet des Seelies sembla se retrouver absorbé par cette blancheur éblouissante, et cette lueur vermeille nous suivit. Mon grand-père m’adressa un salut lorsque je passai à côté de lui. Un salut que je ne lui retournai pas. Les portes ornées de pierreries s’ouvrirent d’elles-mêmes sur notre passage.

— Déesse, Consort, aidez-moi, faites que nous arrivions à temps, murmurai-je.

En passant au galop à côté du gigantesque chêne, je perçus à nouveau cette impression de mouvement, mais il n’y avait plus de prairie en été, aucune illusion. Un instant, nous chevauchions sur de la pierre, traversant les salles en enfilade du sithin des Seelies, et, le suivant, nos montures galopaient sur l’herbe, s’enfonçant dans la nuit noire qui régnait à l’extérieur des monticules de la Féerie.

Un éclair devant nous lacéra cette noirceur crépusculaire. Un éclair ne provenant pas des nuées, mais projeté du sol vers les cieux.

— Mistral ! appelai-je.

Nous accourions vers le lieu du combat, volant au secours de mon Seigneur des Tempêtes en gagnant en altitude au-dessus de l’étendue herbeuse à la vitesse du vent, semblables à un scintillement d’étoiles.

Les ténèbres dévorantes
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